Le chemin vers des émissions nettes nulles est retardé

L’objectif zéro n’est pas pour demain. Selon la dernière enquête menée par Bain auprès de plus de 700 cadres des secteurs du pétrole et du gaz, des services publics, des produits chimiques, de l’exploitation minière et de l’agroalimentaire, près de la moitié d’entre eux (44 %) s’attendent à ce que le monde atteigne des émissions nettes nulles d’ici à 2070 ou plus tard. Il s’agit d’une augmentation significative par rapport aux années précédentes, où moins d’un tiers d’entre eux étaient de cet avis. Seuls 32 % d’entre eux pensent encore que cela se produira d’ici à 2050.

L’année dernière, le financement mondial des énergies propres a atteint un niveau record. Nous sommes confrontés à une tension permanente entre ce que les gens veulent et ce que la physique et les infrastructures peuvent actuellement supporter. La demande d’énergie traditionnelle reste forte, en particulier dans les pays en développement qui connaissent une croissance démographique et économique. Dans le même temps, les alternatives à faible teneur en carbone continuent de se développer, mais pas assez rapidement pour remplacer complètement les systèmes existants.

Il n’y a pas de mystère. Il n’est pas possible de mettre fin à des activités traditionnelles sans disposer d’alternatives pour répondre à la hausse de la demande. C’est pourquoi l’optimisme tarde à venir. Les dirigeants deviennent plus réalistes. Ils ne vont pas miser sur des calendriers qui ne tiennent pas compte de l’augmentation des besoins énergétiques mondiaux ou qui sous-estiment la complexité des systèmes.

Ce changement d’état d’esprit est directement lié à une réalité plus large : il est difficile de décarboniser tout en augmentant la fourniture d’énergie. Le véritable défi consiste à produire plus rapidement de l’énergie plus propre, tout en maintenant la sécurité énergétique, la fiabilité et la croissance économique. Les dirigeants doivent évaluer les stratégies de transition en termes de faisabilité, d’efficacité du capital et d’intégration des systèmes. L’optimisme est important. Mais la clarté est essentielle.

L’accent mis sur le retour sur investissement

Le secteur de l’énergie change d’orientation. L’ère des dépenses ESG à grande échelle est en train d’être remplacée par un accent plus marqué sur les rendements financiers. Les dirigeants exigent des délais de rentabilité plus clairs et un retour sur investissement plus solide pour justifier la poursuite des investissements dans les technologies à faible émission de carbone. L’enquête 2025 de Bain confirme ce rééquilibrage. Les budgets se resserrent. Les bilans sont sous pression. Et la plupart des entreprises réagissent en réévaluant la destination de leurs investissements.

Résultat ? Les projets liés à la transition énergétique, en particulier ceux dont les flux de revenus sont vagues ou retardés, sont mis en pause, redéfinis ou carrément mis de côté. Dans le même temps, les projets anciens dont les modèles de retour sur investissement sont bien compris continuent d’être financés. Il s’agit d’un effort de clarté financière dans des conditions incertaines. Les dirigeants veulent la preuve que les nouveaux investissements dans les énergies renouvelables, l’hydrogène, le captage du carbone et d’autres actifs similaires contribueront de manière significative au flux de trésorerie ou à la valeur des actifs d’ici à 2030.

Pour les équipes dirigeantes qui gèrent des portefeuilles de plusieurs milliards de dollars, chaque point de pourcentage de retour sur investissement compte. La décarbonisation ne peut s’étendre que si elle est financièrement performante à grande échelle. Cela signifie qu’il faut développer des technologies plus propres et de meilleures analyses de rentabilité. Si l’économie ne tient pas la route, l’expansion s’arrête. Et lorsque les coûts d’investissement augmentent, comme c’est le cas, les décideurs deviennent plus sélectifs. Les dirigeants qui évaluent les projets liés au développement durable ne peuvent pas se contenter de se concentrer sur l’impact environnemental ou les relations publiques. Ils doivent ancrer leurs décisions sur des chiffres concrets, sur l’atténuation des risques et sur la rapidité de la valorisation.

Augmentation des coûts des projets d’investissement

L’escalade des coûts frappe durement les projets d’investissement. Dans la dernière enquête menée par Bain auprès des cadres du secteur de l’énergie et des ressources, près d’un tiers des entreprises ont fait état d’une augmentation à deux chiffres des coûts des projets au cours de l’année écoulée. Cette situation n’est pas tenable, surtout dans le contexte de l’accélération des besoins de déploiement. On demande aux entreprises de faire plus, plus vite, avec moins de marge de manœuvre dans leurs budgets. Le résultat est clair : l’approche traditionnelle de la planification des investissements est en train d’être remaniée.

Les dirigeants du secteur de l’énergie et des ressources naturelles ne se contentent plus d’augmenter les investissements, ils redéfinissent la manière dont ces investissements sont exécutés. Nombre d’entre eux prévoient de doubler, voire de tripler le déploiement de capitaux au cours des prochaines années, mais ils savent que sans une meilleure exécution, ces fonds ne produiront pas les résultats escomptés. Nous constatons un intérêt croissant pour les changements dans la passation des marchés, les processus d’autorisation plus rapides et les conceptions de projets modulaires qui réduisent les délais d’exécution et gèrent les risques. Quelques acteurs parviennent déjà à améliorer de 15 à 50 % les délais et les coûts grâce à ce type de changements.

Les chefs d’entreprise doivent reconnaître que la discipline en matière de capital définit désormais la compétitivité. Ce n’est plus le volume d’investissement qui fait la différence, mais la précision, le calendrier et l’efficacité. La marge d’erreur se réduit. Les portefeuilles de projets qui ne peuvent répondre aux attentes financières et opérationnelles compromettent à la fois le bilan et la flexibilité stratégique. Les équipes doivent lier les objectifs de performance aux cycles de décision, se prononcer plus rapidement sur les projets peu performants et exploiter les nouvelles technologies qui réduisent les goulets d’étranglement en matière d’approbation.

L’optimisme des entreprises liées à la transition a diminué

Dans l’ensemble du secteur, la confiance dans la rentabilité des secteurs d’activité axés sur la transition s’amenuise. Les dirigeants sont moins certains que ces nouveaux secteurs, tels que l’hydrogène, le captage du carbone ou les vastes plateformes de développement durable, contribueront de manière significative aux bénéfices ou à la valorisation des entreprises d’ici à 2030. Cette incertitude fait hésiter à développer ces unités.

Mais il existe une contre-tendance qui mérite l’attention. Certaines technologies se démarquent. Les dirigeants restent positifs quant au potentiel commercial des énergies renouvelables, du stockage de l’énergie et de l’intelligence artificielle. Ces technologies sont au cœur d’investissements ciblés soutenus par des analyses de rentabilité plus solides. Les dirigeants se concentrent sur les domaines où les courbes d’adoption sont plus claires et où les retours sur investissement sont plus mesurables.

Pour les dirigeants qui prennent des décisions en matière d’allocation de capital, c’est le moment d’être sélectif. Toutes les innovations « vertes » ne justifient pas une mise à l’échelle. Certaines technologies mettront plus de temps à mûrir ; d’autres s’intègrent déjà dans des modèles opérationnels où elles produisent des résultats clairs. Les équipes de direction doivent évaluer chaque investissement de transition en fonction de l’impact financier à court terme, de l’évolutivité et de la simplicité d’intégration. La baisse de l’optimisme ne reflète pas un désintérêt, mais une analyse plus fine, des filtres plus puissants et une préférence croissante pour les technologies qui s’intègrent dans les résultats réels de l’entreprise aujourd’hui, et pas seulement dans son potentiel futur.

Les services publics se préparent à une augmentation de la demande

L’IA modifie notre façon d’envisager la demande d’électricité. Les centres de données, qui consomment déjà beaucoup d’énergie, se développent rapidement, sous l’effet du déploiement exponentiel de l’IA. Les services publics prévoient déjà une augmentation importante de la charge. Ils en voient les premiers signes dans toutes les régions, la demande d’infrastructures devant augmenter considérablement d’ici quelques années seulement.

Les services publics ne paniquent pas. Ils abordent le problème de manière méthodique. L’ampleur du défi est évidente : si la trajectoire actuelle se poursuit, la consommation d’énergie des centres de données pourrait doubler d’ici 2027. Les dirigeants du secteur de l’énergie savent qu’il ne s’agit pas d’un pic temporaire. Il s’agit d’un changement durable de la demande de base résultant du traitement de l’IA, des services cloud et de la construction d’infrastructures numériques.

Ce type de croissance nécessite une action décisive. Les services publics évaluent les stratégies d’expansion du réseau, les nouvelles capacités de production et les architectures de transmission plus résistantes. Ils prennent également en compte la surveillance réglementaire croissante et les goulets d’étranglement liés à l’obtention des permis. Pour bien faire, il faut être prêt, c’est-à-dire mettre en place les actifs nécessaires avant que les goulets d’étranglement n’atteignent des seuils critiques.

L’avenir de l’adoption de l’IA dépend autant de l’infrastructure électrique que du matériel informatique. Les dirigeants des services publics l’ont bien compris, et leur planification ne doit pas se limiter à des projections de charge. Cela signifie également qu’il faut réévaluer l’agilité du capital, le mix énergétique régional et le coût de livraison. Les relations réglementaires, la hiérarchisation des sites et les stratégies d’approvisionnement en énergie deviennent autant de priorités pour les dirigeants.

La transformation numérique est devenue un impératif stratégique

Les systèmes d’entreprise sont désormais au cœur de la compétitivité. Pendant des années, de nombreuses entreprises ont retardé les mises à niveau de leur ERP, les considérant comme des projets informatiques importants et gênants. Cette période est révolue. Les dirigeants reconnaissent désormais que les systèmes ERP existants limitent les performances de l’entreprise, réduisent son agilité et ralentissent la prise de décision. Alors que les fournisseurs commencent à cesser progressivement de prendre en charge les anciennes plateformes, il est essentiel de les remplacer si l’on veut rester opérationnel.

Dans l’enquête 2025 Executive Survey de Bain, 62 % des chefs d’entreprise, tous secteurs confondus, ont déclaré qu’ils prévoyaient de transformer leurs systèmes ERP dans les trois ans à venir. La raison en est simple. Une plateforme ERP moderne relie les prévisions, les opérations sur le terrain, les finances et la chaîne d’approvisionnement en temps réel. Elle constitue une couche de base pour les fonctions pilotées par l’IA, notamment la maintenance prédictive, la planification de la demande et l’allocation intelligente des ressources.

Les dirigeants considèrent la transformation de l’ERP comme une initiative fondamentale de l’entreprise. Les bonnes mises à niveau des systèmes débloquent l’efficacité dans l’ensemble de l’organisation. Elles permettent également une exécution plus rapide des projets d’investissement, un meilleur service à la clientèle et un contrôle plus intelligent des coûts. L’écart concurrentiel entre les entreprises dotées d’une solide infrastructure numérique et celles qui en sont dépourvues se resserre rapidement, et celles qui sont à la traîne le font de manière visible.

Les dirigeants doivent favoriser l’alignement numérique entre les finances, les opérations et l’ingénierie. Le choix du moment est important. Ceux qui tardent pourraient se retrouver enfermés dans des processus obsolètes au moment même où les concurrents élargissent leurs capacités et réduisent leurs coûts grâce à l’automatisation. La transformation de l’ERP est également essentielle à l’intégration des outils d’IA. Sans flux de travail actualisés et sans structures de données propres, les résultats de l’IA sont limités ou peu fiables. Pour réussir, il faut un soutien clair de la direction, une mise en œuvre progressive et une coordination étroite entre les dirigeants de l’entreprise et de l’informatique.

L’innovation reste au centre des préoccupations

La complexité ne ralentit pas. Les entreprises du secteur de l’énergie et des ressources naturelles sont confrontées à la pression des coûts, à des calendriers de transition incertains et à une demande croissante, mais rien de tout cela n’arrête l’innovation. En fait, de nombreux dirigeants l’accélèrent. Ils se concentrent sur une exécution qui donne des résultats mesurables. Les entreprises redéfinissent la manière dont elles réalisent les projets d’investissement, gèrent les opérations et intègrent les outils numériques.

Certaines d’entre elles enregistrent déjà des gains significatifs. Dans les organisations les plus efficaces, l’innovation permet d’améliorer les coûts et les délais de 15 à 50 %. Ces améliorations reflètent des changements structurels au niveau des achats, de l’exécution des projets et de la collaboration interfonctionnelle. Ce type d’innovation est ciblé. Elle se concentre sur la mise à l’échelle de ce qui fonctionne et sur l’élimination rapide de ce qui ne fonctionne pas.

Dans le même temps, les dirigeants déploient les nouvelles technologies avec plus de détermination. Les capacités numériques, autrefois considérées comme des mises à niveau optionnelles, sont désormais au cœur du fonctionnement des entreprises. Les prévisions assistées par l’IA, la maintenance prédictive et l’automatisation des opérations sur le terrain sont des projets actifs. La transformation est appliquée, et non hypothétique.

Les dirigeants ne doivent pas confondre transformation et perturbation générale. Aujourd’hui, l’innovation consiste à améliorer les performances dans des domaines ciblés, avec rapidité et précision. Cette position exige également l’alignement de la direction, une orientation claire sur les priorités, une allocation disciplinée des ressources et la responsabilité de la mise en œuvre. Dans un environnement sous haute pression, l’innovation qui améliore la manière dont le capital est déployé, dont les gens travaillent et dont les systèmes fonctionnent envoie un signal clair aux investisseurs et aux parties prenantes : l’équipe dirigeante contrôle ce qu’elle peut et se prépare pour l’avenir.

En conclusion

Des progrès sont réalisés là où les dirigeants sont concentrés, précis et prêts à s’adapter rapidement. Les dirigeants des secteurs de l’énergie, des ressources et des infrastructures n’attendent pas la stabilité du marché ou des conditions parfaites. Ils mettent en œuvre la transformation dès maintenant, car le coût des retards augmente.

La technologie est passée d’une fonction de soutien à un levier stratégique. Les initiatives de transition sont filtrées par la logique du retour sur investissement. Le déploiement des capitaux est mesuré en termes de vitesse, et non plus seulement d’échelle. Et ceux qui sont à la tête de ce changement sont ceux qui construisent des systèmes qui fonctionnent sous pression.

L’innovation fait partie intégrante de la manière dont le travail est effectué, dont les équipes prennent des décisions et dont les entreprises déplacent les capitaux. Dans cet environnement, les dirigeants qui considèrent l’incertitude comme une permission de repenser leur avantage définiront la prochaine phase de l’énergie mondiale. Non pas par des promesses, mais par une exécution qui tient ses promesses.

Alexander Procter

avril 2, 2025

13 Min